S’il fallait établir un acte de naissance du rock, on notifierait sans hésiter l’année 1954. Lieu : États-Unis. Il connaît son premier succès commercial grâce à Rock Around the Clock de Billy Haley and His Comets. Et voit également, cette année-là, la sortie de That’s All Right Mama, au succès moindre, certes, mais il s’agit du premier vrai disque du jeune Elvis Presley, qui sera une de ses figures les plus emblématiques.

Le Rock and Roll est le fruit de l’union de la musique noire (Gospel, Rythm’n’Blues) et de la musique blanche (notamment la Country, enfin le Hillbilly à ce moment-là.)

D’aucuns parleront de pillage de la musique noire par les blancs. Du moins, d’appropriation culturelle. Mais, bon gré mal gré, ça reste le genre musical qui a permis de rapprocher ces deux populations dans une Amérique des années 50 encore en pleine ségrégation…

Force est de constater que le Rock and Roll, à sa naissance au milieu des années 50, est, à quelques exceptions près, mis en évidence par des hommes blancs. Et pourtant… À l’origine du rock on retrouve non seulement une personne de couleur. Mais mieux encore…

Une femme !

Portrait de la mère du Rock : Rosetta Tharpe

Rosetta Rubin naît le 20 mars 1915 à Cotton Plant, dans l’Arkansas. Ses parents sont cueilleurs de coton mais également membres du Church of God in Christ, une église qui privilégie la musique, la danse et la prêche des femmes.

Dès l’âge de six ans, on trouve à « Little Rosetta » des talents pour le chant et la mandoline, transmis par sa mère, Katie Bell. Et elle intègre la troupe évangélique, la suivant dans de longues tournées dans le sud des États-Unis.

Très vite, Rosetta sort du lot et des standards habituels tant dans le chant que dans la musique ; alors qu’elle laisse de côté la mandoline pour la guitare, instrument encore très (très) peu répandu chez les femmes. En 1934, elle épouse le pasteur Thomas Tharpe. Bien que l’union ne dure pas, elle décide de garder le nom pour la scène, elle devient alors : Rosetta Tharpe.

Première Guitar Hero(ïne)

En 1938, âgée de 23 ans, elle enregistre quatre titres chez Decca Records, accompagnée par l’orchestre de Jazz Lucky Millinder. Bien-sûr, on ne parle pas encore musicalement de Rock and Roll mais ce mélange de Gospel, de Jazz et de Blues, voir de Rythm’N’Blues (histoire de pinailler) a quelque chose de très novateur ! Et surprend dans les night-clubs, encore très jazzy à l’époque.

Résultat, quatre hits instantanés pour Rosetta : Rock Me, That’s All, My Man and I et The Lonesome Road.

Mais de surprendre à choquer, il n’y a qu’un pas ! Et il n’en fallait guère plus pour les « bonnes » moeurs, conservatrices, masculines et religieuses de l’époque que de voir une jeune femme chanter Rock Me (fais moi bouger / secoue moi). Tout en jouant le blues des vagabonds et le boogie des cabarets.

L’audace, le culot. C’est donc ce qui va caractériser le parcours de Rosetta Tharpe et graver les premières lettres de noblesse de « l’esprit Rock ».

Si ce n’est pas encore la musique du diable, voilà que le style des louanges du seigneur se met à faire swinguer. Et le répertoire de Rosetta devient plus profane, voir coquin comme dans sa chanson God Don’t Like It.

C’est aussi la première femme à arpenter les scènes avec une guitare, de plus, électrique, en bandoulière. Et elle n’est pas là pour décorer ! « Sister Rosetta » se met bien en avant de son orchestre et ses riffs sont tranchants, percutants avec un son saturé en diable. Plus qu’une simple chanteuse, une véritable Guitar Hero et c’est ainsi, qu’elle va conquérir un tout nouveau public…

Pionnière du Showbiz’…

Rosetta remplit les night-clubs et passe même à la radio en plein boom du swing. Elle sait apprécier ce succès et organise souvent de grandes fêtes et se pare de luxueuses fourrures. Elle se paye même le luxe d’un grand bus orné de son nom pour ses tournées. Et bien que nombres d’hôtels et restaurants ferment encore la porte à une femme noire, fille de cueilleurs de coton, rien ne semble la décourager, l’arrêter.

Dans les années 40, Rosetta va arpenter les routes en s’accompagnant d’une choriste : Marie Knight. Et on ne manquera pas de prêter alors une relation homosexuelle à ce duo. Ce dont les artistes semblaient s’amuser et en jouer.

En autre fait notable, c’est Rosetta Tharpe qui, lors d’un concert à Macon en 1945, donne sa chance à un fan à la voix prometteuse, le jeune Richard Penniman qui deviendra sous peu Little Richard, considéré comme le père du rock and roll.

… Et des stades !

Quand on évoque les concerts de stade, chers au rock, on accorde (volontiers) son fer de lance au concert d’août 1965 des Beatles au Shea Stadium. Pourtant… Au début des années 50, Rosetta Tharpe connaît un premier creux. Pour donner un nouvel élan à sa carrière, elle décide de célébrer son troisième mariage, en public, sur un terrain de baseball.

Et c’est ainsi que le 3 juillet 1951, quelques 20 000 personnes s’arrachent les places du Griffith Stadium pour voir Sister Rosetta célébrer ses noces transformées en concert de son désormais célèbre « Gospel / Rythm’N’Blues électrique ». 

Bien qu’évidemment ce n’est pas comparable à la folie déclenchée par les quatre petits gars de Liverpool, rendez-vous compte : Une femme, noire, qui célèbre son troisième mariage, en 1951, devant 20 000 personnes en donnant le concert le plus élaboré jamais vu alors… Dans une Amérique puritaine et en pleine ségrégation… Quel tour de force ! 

Malgré cela, Rosetta ne pourra freiner son déclin, notamment pour les raisons que l’on va voir dans les prochains épisodes…

Sixties Rosetta 

C’est d’Europe que viendra un second souffle ! Alors que, désormais contrainte aux plus modestes salles aux États-Unis, elle répond favorablement à l’invitation d’un ami saxophoniste anglais ; Elle va alors enchaîner plusieurs concerts en Angleterre et même en France où elle se produira à la salle Pleyel à Paris ou encore au festival jazz de Juan-les-Pins.

Malheureusement, en cette nouvelle décennie, son blues se voit peu à peu dépassé par la Soul émergente. Ainsi qu’un nouveau style de rock. Et ses odes à Dieu tranchent avec l’ère du temps, à l’heure des « protest songs »…

La mort de sa mère adorée en 1968, annonce une pause de la musique pour Rosetta. Qui doit faire face à a des problèmes de santé : elle est sauvée de peu d’un avc en 1970. Et on lui ampute une jambe quelques temps plus tard à cause de complications d’un diabète…

Le 9 octobre 1973, à la veille de retourner enregistrer en studio, Rosetta Tharpe fait un second avc. Cette fois fatal…

Elle est enterrée dans l’anonymat le plus total dans le cimetière de Northwood en Pennsylvanie. Sa tombe même sera anonyme jusqu’en 2007 ! L’année où elle se voit intronisée au Blues Hall of Fame après un regain d’intérêt auprès de nombreux artistes pour son « travail légendaire ».

En 2008, un concert est même organisé pour amasser des fonds pour pouvoir rénover et marquer sa tombe. De son nom, ses dates et cette épitaphe : 

 » Elle chantait jusqu’à vous faire pleurer pour, ensuite, jouer jusqu’à vous faire danser de joie »

Et en 2018, la consécration, enfin !  « Sister » Rosetta est intronisée au Rock’n’roll Hall of Fame.

Rosetta Tharpe, la femme qui inventa le Rock and Roll… Ne l’oublions plus !

À présent, revenons en 1951…(suite au prochain article !)

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